Paris, Gare de l’est, un jour de mars 2020
Installée sur le siège du TGV, je peux enfin rentrer chez moi, après une journée de cours.
A cette époque je me rendais à la fac de médecine pour préparer un diplôme intitulé “ prise en charge de la douleur en soins infirmiers »…
Infirmière, quelle idée saugrenue mais c’est le métier que j’ai choisi, sachant au fond de moi qu’un jour les français m’applaudiraient chaque soir, parce que j’irais affronter un virus mortel à zéro virgule zéro un pour cent !! Oui.. tel un chevalier, armée de mes doses, je rêvais de parcourir les vaccinodromes de France et de Navarre !
Le train démarre, je suis heureuse de quitter la jungle parisienne, tout en croquant dans mon jambon-beurre acheté en gare. C’est bon ce sandwich fabriqué avec une bonne baguette française croustillante, ça me donne presque envie de recommencer à aimer mon pays.
Au moment où ce sentiment patriotique a failli gonfler, je me mets soudain à réfléchir sur mes nouvelles connaissances sur le mécanisme d’apparition de la douleur et ses traitements.
Car il y a aussi la réalité du terrain. La théorie c’est bien, mais la mettre en pratique avec le manque de moyens et une pénurie de médecins, c’est parfois complexe.
S’ajoute à cela une médecine devenue procédurale et protocolaire. Pendant que le patient agonise, il faut attendre patiemment le déroulement des réunions, des comités d’éthique, des rencontres avec les familles, et enfin décider si on peut augmenter d’un microgramme le cocktail antalgique, qui, à doses progressives entraînera le décès du condamné.
Je me réconforte en me disant que la douleur ne s’applique pas uniquement aux cancers ou aux fins de vie, mais à d’autres situations telles que des plaies, des accidents, ou tout simplement la vue du visage de Macron…
Le train avance et je reçois un message qui m’informe que les écoles vont fermer dès lundi à cause du Covid qui se propage en France. Pourtant Madame Buzyn avait assuré qu’il ne traverserait pas la frontière….
Lundi, à l’hôpital, vêtues de nos sacs poubelles en guise de bouclier contre cet étrange virus, nous sommes convoquées avec les médecins pour une réunion d’urgence avant l’arrivée de la grande vague !
L’heure est grave, nous sommes en guerre. Tremblez !
En attendant, ils ont pensé à nous encourager à affronter cette guerre en mettant à disposition des croissants frais, accompagnés de café dans de magnifiques gobelets en plastique. Ça doit être un clin d’œil pour nos blouses de protection plastifiées !
Un médecin nous annonce l’arrivée probable d’une pénurie d’antibiotiques, de Doliprane, et peut-être même, mais on ne le souhaite pas, un tri de patients à effectuer. Il termine sa déclaration solennelle en nous lisant le nouveau protocole de sédation au Rivotril en cas de “détresse respiratoire sévère”.
Sédation au Rivotril ? Jamais entendu parler de cet usage détourné…
Alors se mettent à défiler dans mon esprit tous les malades en stade terminal que j’ai vu agoniser lentement pendant que les comités d’éthique, les familles, les institutions, les politiques se réunissaient pour décider de leur sort…. que de temps écoulé alors qu’il suffisait juste de les « rivotriliser »…
Je veux bien aller en guerre pour la France, qui a inventé le jambon-beurre et le protocole de sédation le plus rapide au monde, mais avant je vais quand même manger un croissant.