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Le sauveur aux ciseaux magiques

Lausanne, Suisse, 27 avril 2020.

Ouverture des salons de coiffure enfin ! Cela fait des siècles que nous avons été assignés à résidence. Le temps s’est suspendu. Les oiseaux chantent trop fort. Mes cheveux sont aussi longs que ceux de Pocahontas.

Derrière l’écran, assise sur une chaise inconfortable de la cuisine en leggings à fleurs et sweat à capuche, j’ai assisté à l’extension capillaire de mes collègues. On se moque les uns des autres. Nous sommes hirsutes.

Suisse, Allemagne, Angleterre. J’ai fait connaissance à l’insu de mon plein gré, avec les enfants, les conjoints, les chiens et les chats. A travers l’écran, j’ai pénétré dans leur intimité. Est-ce que je me serais passée de cette incursion dans leur sphère privée ? Certainement.

En revanche, cela les a rendus humains presque trop humains. Les premières semaines de chaos, lorsque le Conseil Fédéral suisse a décidé de fermer entreprises, commerces, écoles et crèches. J’ai vu les larmes au coin des yeux des mamans. Leurs bouches tordues par l’angoisse. On leur ouvrait les portes de l’enfer domestique.

Hagards dans l’open space, fébriles, nous avions attendu la sainte parole « de ceux qui savent ». Les entreprises voisines avaient déjà fermé leurs portes. Pour nous, sans certificat médical, il était exclu de ne pas se présenter à son poste. Je suggérais à ma collègue enceinte de huit mois de consulter son médecin. Elle s’abstint.

A la pause déjeuner le jour de l’annonce fatidique, notre Drama queen de service s’était précipitée au supermarché du coin pour s’approvisionner. Elle nous annonça terrifiée que les rayons étaient vides de farine, sucre, pâtes et papier toilette. L’apocalypse était proche c’était certain. Pendant ce temps, en Italie, Pornhub faisait le cadeau d’un mois d’abonnement gratuit à la population mâle.

J’enfile mon masque pour me tenir sur le quai, ma mission coiffeur en tête. Ce masque dégoûtant que j’exècre du plus profond de mon être. Cette sensation affreuse d’étouffement à chaque respiration. La buée sur mes lunettes me rappelle qu’il ne fait pas bon être myope en temps de « pandémie ».

Je pénètre dans la rame avec les autres zombies dont je vois la moitié du visage. La distanciation sociale est difficile à tenir dans les transports publics. L’Académie de médecine a d’ailleurs recommandé de ne pas parler, ni de consommer de sucreries dans ces lieux impies de transmission.

Peu importe. On s’assoit les uns prêts des autres. On prend garde à ne pas éternuer. Dommage pour moi, j’ai un début de rhume des foins. La vidéo d’une chèvre naine dévalant un toboggan fera l’affaire pour me distraire.

Et puis j’ai soif, une soif terrible. Le port prolongé de la muselière m’assèche la bouche. La bouteille d’eau qui gît dans mon sac me nargue. Dans une petite minute je vais lui faire sa fête. Enfin le métro s’arrête à destination. Je suis à quelques encablures de mon sauveur aux ciseaux magiques.

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